jeudi 15 avril 2021

La Constellation Rimbaud de Jean Rouaud


 

La Constellation Rimbaud de Jean Rouaud, constellée de personnages sans intérêt et de lieux anodins  

      

Le fait pour un écrivain d’avoir obtenu le Prix Goncourt il y a une trentaine d’années peut-il être un certificat de rigueur littéraire, voire d’érudition, quels que soient ses écrits futurs ?  

Davantage que Michel Butor en 1989, dans ses Improvisations, Jean Rouaud, faisant fi de l’immense bibliographie rimbaldienne et de tous ses devanciers, publie un essai sur Rimbaud, sans aucune référence.

Il met en pièces constituées de personnages plus ou moins importants (certains sont inutilement présentés), et de lieux censés représenter sa vie poétique et aventureuse, une existence dispersée à tous les vents.

Comme les repères chronologiques semblent insuffisants, il sera difficile au simple lecteur d’assembler des pièces de puzzles, plutôt hétéroclites et surtout très inégales, voire inutiles. Jules Buffin des Essarts, l’armurier  Montigny, Louis Deghislage, le professeur Wilhelm Lübcke, Lacroix, éditeur d’ouvrages techniques, les divers ecclésiastiques et docteurs, sans parler de Heinrich Schlieman creusant la butte d’Hisarlik, peuvent-ils rivaliser avec les « évangélistes », les témoins oculaires essentiels comme Ernest Delahaye, Georges Izambard, « grands témoins de l’éclosion poétique », Paul Verlaine ou Germain Nouveau ? Encore convient-il de préciser que Delahaye et Louis Pierquin « fidèle parmi les fidèles » qui ne voudrait pas que le révérend Paul Claudel égrène son chapelet de fureur, se sont soumis à la férule d’Isabelle pour avoir droit au chapitre. Quant au professeur Izambard, s’il publie aussi tardivement, c’est parce qu’il doit se défendre des calomnies de la famille Rimbaud.

(Et nous éviterons de parler du paysan Fricotot, devenu Frénicot, p. 147 (en réalité, Fricoteau !) qui aurait marqué définitivement l’Histoire littéraire en évoquant les chevaux « fringants » de l’amputé de Roche, d’Armand Sabouré (sic) ou plutôt Savouré !). Nous n’évoquerons ni Louis Forain qui héberge Rimbaud à Paris, ni Mallarmé, ni Henri Mercier, ni le dernier ami africain Djami Wadaï, puisqu’ils sont bizarrement ignorés de l’essai.

En revanche, Jean Rouaud s’en prend dès le début au poète René Char dont il cite une phrase isolée de son contexte : « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ». « De quoi je me mêle » interroge Rouaud, sans se douter qu’on pourrait très légitimement lui renvoyer la question.

 

Des informations discutables

 

C’est d’autant plus fâcheux d’ignorer toutes les sources du l’auteur que certaines informations sont fausses ou appartiennent à la légende. Ce n’est pas parce que le bateau Wandering Chief, partant de Java, a affronté une tempête au large du cap de Bonne espérance que « Rimbaud a manqué de périr en mer ».

Non, il n’est pas certain que ce soit les vers de Jean Aicard que le jeune poète a ponctué plusieurs fois du mot « merde ».  

Non, l’élève Rimbaud n’a pas « sauté une classe » (p. 37), cette légende a été démentie depuis longtemps.  

Non, ce n’est pas Mathilde Mauté, « accompagnée de sa mère » qui « accueille à sa descente du train l’adolescent de Charleville » (que Verlaine et Charles Cros présents à la gare n’ont pas reconnu).

Pourquoi la photo (retouchée) de Carjat transformant Rimbaud « en icône », devient-elle bientôt celle de Nadar, page 67 ? (Où sont les correcteurs ?)

Non, malgré des témoignages discutables démentis par le calendrier de activités rimbaldiennes de mai 1871, Rimbaud n’a pas participé physiquement à la Commune, même s’il est un communard de cœur et d’esprit.  

Non, Germain Nouveau n’accompagne pas Rimbaud à Londres le lendemain de leur rencontre à Paris mais plusieurs mois plus tard.

Non, Rimbaud ne fut pas si « bon » que ça avec Mariam, la femme abyssine, qu’il a renvoyée « sans rémission », lassé de « cette mascarade » devant lui.

Non, ce n’est pas Isabelle Rimbaud qui a rassemblé « les plus beaux textes » sur son frère mais Verlaine que Jean Rouaud traite avec mépris. Ce « poète, alcoolique, homosexuel, apostat » (page 12) qui partage avec Bretagne « le goût des garçons » et s’accrochera « à la vieille quincaillerie poétique » est très injustement présenté. Ernest Cabaner qui « logea quelque temps l’adolescent fugueur » bénéficie de propos seulement allusifs.

Non, ce n’est pas à la bigote et dogmatique Isabelle, malgré son « regard pervenche » et ses soins de sœur aimante à la limite « incestuelle », et à son Paterne Berrichon de mari, « l’anarchiste furieux » mué « en catholique ardent », qui ont faussé pour des décennies la juste perception des poésies de Rimbaud que l’on doit la survie de l’œuvre de Rimbaud. C’est à Paul Verlaine, inlassable défenseur des poèmes rimbaldiens sauvés de la destruction et de l’oubli, qu’il faut rendre justice.

C’est bien le « beau-frère posthume », lequel se vantait d’avoir passé confortablement toute la guerre (de 14-18) en profitant des droits d’auteur d’Arthur, et son épouse, laquelle ignorait tout des écrits de son frère avant sa mort, qui ont déshérité et renié le frère, Frédéric, accusé ici d’ivrognerie.

Tenter de revivifier le mythe rimbaldien catholique en « béatifiant » l’adolescent et en appelant à la rescousse sainte Marguerite-Marie Alacoque (sic), le curé d’Ars et Bernadette Soubirous « la petite voyante » de Lourdes, est tout simplement ridicule.    

En 2021, la légende perdure et la « rimbaldo-fiction » a encore de beaux jours devant elle.  

mardi 29 septembre 2020

Ernest Delahaye et les "aventures espatrouillantes du voyageur toqué" : de la rimbaldo-fiction avant l'heure


 Ernest Delahaye, auteur des « aventures espatrouillantes du voyageur toqué » et de la première œuvre de rimbaldo-fiction.

 

On peut considérer que les « aventures espatrouillantes du voyageur toqué » racontées en dessins par Ernest Delahaye, auteur de l’expression, par Paul Verlaine et Germain Nouveau, en 1875 et au cours des années où on a perdu de vue le poète et voyageur, doivent être considérées comme la première oeuvre de rimbaldo-fiction.

L’ami de Rimbaud, Ernest Delahaye (1853-1930), auteur d’ouvrages posthumes et tardifs sur son compagnon d’adolescence, a sans doute réalisé du vivant du poète, à son corps défendant, à travers ses dessins et caricatures, un ensemble montrant souvent un Rimbaud rêvé et fantasmé, avec les participations plus rares de Verlaine et de Germain Nouveau. Delayaye fut un intermédiaire toujours patient, compréhensif et dévoué entre les trois poètes Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau.   

Ces dessins sont d’autant plus précieux qu’ils concernent surtout la période des errances européennes, l’aventure javanaise et d’autres, prétendument africaines, période mal connue du fait qu’après l’affaire de Bruxelles et l’emprisonnement de Verlaine, les témoignages et les courriers se raréfient.

C’est pourquoi Verlaine et Delahaye, dans leur correspondance dont Verlaine a davantage gardé les dessins que le texte, illustrent, souvent avec talent, les tribulations imaginaires ou réelles de leur ami dont ils sont souvent sans nouvelles.

Le ton est souvent caricatural, voire cruel (en tout cas très différent du ton des ouvrages laudatifs ultérieurs) et les termes utilisés pour désigner Rimbaud, l’absent, sont révélateurs : le philomathe et l’herboriste, Homais, l’Œstre [mouche parasite], l’homme à la grammaire espagnole, le voyageur toqué, l’Autre, la sale bête, l’Homme, le Sénégalais, Homais, Chose, Lui, Machin… (Seul, Germain Nouveau, brisant ce faux tabou, appelle Rimbaud par son nom).         

C’est Verlaine qui commence mais Delahaye fournit la série la plus intéressante et la moins caustique des aventures plus ou moins imaginaires du vagabond Rimbaud à l’époque où il est difficile de le suivre tant il a la bougeotte. Ces dessins classés par André Breton et Ernest Delahaye sont conservés à la Bibliothèque parisienne Jacques-Doucet, le grand  couturier Jacques Doucet ayant acheté ces dessins à Laurent Tailhade, lui-même acheteur des dessins auprès de Verlaine.

Quatre dessins de Delahaye montrent son ami à Charleville., un autre à Marseille en 1875, complètement dénué de ressources, recueilli par un gras « capucin folâtre » Au cours de la fin de cette même année 1875, on sait que Rimbaud, victime de violents maux de tête après la mort de sa jeune sœur Vitalie, se tond le crâne. Delahaye le représente de profil, le crâne rasé, oblong et irrégulier. C’est le célèbre dessin très réussi de « la tronche à Machin ». 


Dessin tiré de l'album Autour de Rimbaud Gallimard 1949

L’un des meilleurs dessins est sans doute celui qui présente « Le Nouveau Juif errant » Rimbaud, quittant la Forêt Noire tel un géant aux bottes de sept lieues, avec son chapeau haut-de-forme cabossé, après son expulsion de Vienne en 1876, alors qu’un cocher l’avait volé, pour rejoindre Charleville à grandes enjambées au milieu des paysans et des Prussiens casqués. De sa poche dépasse un « passe-porc » et devant lui vole un « hanneton colossal attaché à la pipe par un fil. » Verlaine a également croqué la même mésaventure en représentant Rimbaud nu comme un vers avec, pour tout bagage, la pipe à la main. Ces Darenières nouvelles sont accompagnées d’un « Vieux Coppée » ironique.     

Même les faits réellement passés sont restitués avec plus ou moins de fantaisie et de vraisemblance.

En 1876, l’engagement de Rimbaud dans l’armée néerlandaise et le voyage à Java furent longtemps énigmatiques. Heureusement, la « débauche illustratoire » de Delahaye comble un peu ces vides. Puisque le bateau longe l’Afrique, Delahaye dessine « Un missionnaire qui vient de Charleville », au cours d’une farandole endiablée, une bouteille d’eau-de-feu à la main et flanqué d’un dictionnaire « hottentot ». Au dos de ce dessin apparaît « Rimbaud chez les Cafres », un anneau à l’oreille, le nez percé d’une flèche et le corps tatoué. Dans un ballon, il s’écrie : « Ces Cafres, encore de fameux bassins !... » En 1876, Verlaine dessine aussi Rimbaud en Canaque tatoué.

Inspiré par une dessin de Humbert dans La Lanterne de Boquillon, Delahaye dessine Rimbaud, considéré comme un Sénégalais, en « Roi des sauvages » très jeune, fumant sa pipe assis sur son trône, les genoux repliés, une couronne sur la tête et gardé par un sauvage muni d’une lance, tandis que deux indigènes sont couchés, ventre à terre, prosternés devant lui.             

Sur des dessins aujourd’hui en mauvais état, Delahaye montre encore Rimbaud traversant la jungle de Java lorsque le mercenaire a déserté de l’armée coloniale néerlandaise en 1876. On voit le bateau [Prins van Oranje] pris dans la tempête et, en dessous, sur la même page, Rimbaud est attablé avec Delahaye qui lui demande : « Quand repars-tu ? » « Aussitôt que possible » répond l’homme au chapeau. Un dessin plus surprenant le montre en août 1877 sur le 70e parallèle, chaudement vêtu, chaussé de patins à glace, trinquant avec un ours polaire, chacun tenant un verre d’absinthe. Dans un ballon, il s’exclame : « Oh la la !... C’est plus des Javanais qu’il me faut !... » Peut-être Delahaye situe-t-il cet épisode pendant une supposée tournée avec le cirque Loisset.  



Dans le documentaire intitulé Prélude au grand départ. À travers les dessins de Verlaine, Nouveau et Delahaye, réalisé en 2006 à la Bibliothèque Jacques-Doucet, Yves Peyré, directeur à l’époque de cette Bibliothèque littéraire, présente un dessin énigmatique et surprenant, daté de 1877.

Sur le verso d’une lettre de Delahaye adressée à Verlaine figure un dessin solidement construit, mesurant 132 millimètres sur 205. (C’est le dessin n° 45, intitulé « L’été ». En haut à droite figure les références 7203-197)

Dans l’essentiel de l’image apparaît, assis en pleine nature au bord de l’eau, un géant nu, aux cheveux longs, au torse velu, plutôt débonnaire, entouré d’une multitude d’insectes, de quelques libellules et papillons,   



Entre ses jambes écartées, un personnage debout, couvert d’un  chapeau, en redingote pourrait être Rimbaud. (Mais il semble porter un monocle ou des lunettes et son nez et son menton pointus ne correspondent pas aux représentations habituelles qu’on fait de lui.)   Puisqu’il tient sur son bras gauche un grand mouchoir, va-t-il se moucher, s’essuyer le visage ou, comme le croit Yves Peyré,  récupère-t-il  des insectes ? Rimbaud n’est plus un géant mais un simple bourgeois.




Dans le dessin apparaissent encore une maison (qui ne ressemble guère à la ferme de Roche), des paysans munis d’une faux et de râteaux et des garnements plongeant dans une rivière (ou un étang). Les deux nageurs peuvent être Arthur et son frère Frédéric ou Arthur et Ernest Delahaye. 





Aucun ouvrage n’ayant, semble-t-il, reproduit ce dessin (il est absent du très bel ouvrage iconographique Autour de Verlaine et de Rimbaud réalisé en 1949 pour la Bibliothèque Doucet et Gallimard), on ne peut pas douter pourtant que l'ensemble ne se rapporte à Rimbaud puisque Delahaye écrit à Verlaine. Le dessin semble  synthétiser symboliquement divers aspects de l'existence du poète de Charleville. (La Bibliothèque reste muette sur ce sujet).

jeudi 27 août 2020

Encore des exemples de rimbaldo-fiction

 48 couvertures d'ouvrages se rapportant à la rimbaldo-fiction










dimanche 23 août 2020

Une rimbaldo-fiction multiple

 Même si l'on ne tient compte que des ouvrages de fiction, la rimbaldo-fiction se révèle multiple.


La rimbaldo-fiction s’est introduite dans des romans de toutes sortes :

-          Des romans classiques dans lesquels le personnage de Rimbaud peut avoir un rôle très secondaire

-          Des romans policiers de niveaux très différents

-          Des romans de science-fiction relevant de l’uchronie ou de l’exofiction

Aux hagiographies du clan familial s’ajoutent les biographies romancées au style racoleur.

A l’inverse, des récits de fiction peuvent être parodiques, vulgaires, voire haineux ou simplement  délirants et humoristiques…

Plusieurs récits sont des projections plus ou moins narcissiques. 

D’autres reconstituent, avec plus ou moins de bonheur, le journal fictif de Rimbaud ou d’un proche.

Des romans inventent des rencontres inattendues de Rimbaud avec des écrivains, des personnalités ou des artistes contemporains.

Des auteurs ont le culot d’utiliser le nom de Rimbaud comme produit d’appel dans des ouvrages qui ignorent en fait le poète.

Des fictions poétiques constituent des approches différentes et originales de l’œuvre et de la vie du poète. 

De plus en plus souvent, des auteurs se concentrent sur la vie aventureuse, en particulier africaine, en entretenant ou pas le mythe d’une unité existentielle.

Depuis longtemps jusqu’à aujourd’hui, d’autres se lancent sur les traces de Rimbaud.

Des pièces de théâtre se joignent aux films et aux bandes dessinées.         

Un lit, quelques photos, une lettre, un poème, une montre, des chevaux sont suffisants pour que la fiction s’emballe...


D'autres exemples viendront bientôt confirmer cette multiplicité. 

mercredi 22 juillet 2020





Excellente présentation de l'essai dans le supplément de L'EST REPUBLICAIN, VOSGES MATIN, LE REPUBLICAIN LORRAIN... le 19 juillet et le 15 juillet 2020.
C'est l'édition 2019 qui est présentée d'où les petites "retouches" pour présenter la nouvelle édition 2020, seule en vente désormais.  


jeudi 5 mars 2020

Rimbaud dans la presse départementale (1)

Rimbaud et la rimbaldo-fiction

Article paru dans deux éditions vosgiennes de "Vosges Matin"
- Edition de Saint-Dié Massif des Vosges
- Edition de Remiremont-Epinal

Cela signifie que les lecteurs de Neufchâteau, Mirecourt, Vittel... n'auront pas accès à l'article...
sauf s'ils lisent ce blog !


Il eût été utile d'ajouter les références du livre :

Raymond Perrin : Rimbaud et la rimbaldo-fiction
Chance ou malchance pour la rimbaldie 
- Editions L'Harmattan
182 pages 18 euros. 

Le premier tirage de septembre 2019 était défectueux. Des pages étaient insuffisamment encrées.
Un nouveau tirage a été  effectué en février 2020.

Depuis le 26 juin 2020 est parue une NOUVELLE EDITION, ENTIEREMENT REVUE, AUGMENTEE D'UN INDEX DES NOMS DE PERSONNES  (192 pages)

EXIGEZ CE TIRAGE DE JUIN 2020.




dimanche 16 février 2020

Raymond Perrin publie un nouveau livre sur Rimbaud


À première vue, mon dernier essai, Rimbaud et la rimbaldo-fiction Chance ou malchance pour la rimbaldie, publié chez l’Harmattan, ne semble pas facile à appréhender.
C’est pourquoi j’ai rédigé une 4e de couverture qui me semble explicite. Plus simplement encore, il suffit de considérer Rimbaud comme un personnage de fiction.
Je me suis amusé à concocter une présentation publiable dans un journal, une revue ou un blog et qui peut être reprise par toute personne désireuse de faire connaître le livre.  À lire ci-dessous.