Ernest Delahaye, auteur des « aventures espatrouillantes du voyageur toqué » et de la première œuvre de rimbaldo-fiction.
On peut considérer
que les « aventures espatrouillantes du voyageur toqué » racontées en
dessins par Ernest Delahaye, auteur de l’expression, par Paul Verlaine et
Germain Nouveau, en 1875 et au cours des années où on a perdu de vue le poète
et voyageur, doivent être considérées comme la première oeuvre de
rimbaldo-fiction.
L’ami de Rimbaud,
Ernest Delahaye (1853-1930), auteur d’ouvrages posthumes et tardifs sur son
compagnon d’adolescence, a sans doute réalisé du vivant du poète, à son corps
défendant, à travers ses dessins et caricatures, un ensemble montrant souvent
un Rimbaud rêvé et fantasmé, avec les participations plus rares de Verlaine et
de Germain Nouveau. Delayaye fut un intermédiaire toujours patient, compréhensif
et dévoué entre les trois poètes Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau.
Ces dessins sont
d’autant plus précieux qu’ils concernent surtout la période des errances européennes,
l’aventure javanaise et d’autres, prétendument africaines, période mal connue
du fait qu’après l’affaire de Bruxelles et l’emprisonnement de Verlaine, les
témoignages et les courriers se raréfient.
C’est pourquoi
Verlaine et Delahaye, dans leur correspondance dont Verlaine a davantage gardé
les dessins que le texte, illustrent, souvent avec talent, les tribulations
imaginaires ou réelles de leur ami dont ils sont souvent sans nouvelles.
Le ton est souvent
caricatural, voire cruel (en tout cas très différent du ton des ouvrages
laudatifs ultérieurs) et les termes utilisés pour désigner Rimbaud, l’absent,
sont révélateurs : le philomathe et l’herboriste, Homais, l’Œstre [mouche
parasite], l’homme à la grammaire
espagnole, le voyageur toqué, l’Autre, la sale bête, l’Homme, le Sénégalais,
Homais, Chose, Lui, Machin… (Seul, Germain Nouveau, brisant ce faux tabou,
appelle Rimbaud par son nom).
C’est Verlaine qui
commence mais Delahaye fournit la série la plus intéressante et la moins
caustique des aventures plus ou moins imaginaires du vagabond Rimbaud à
l’époque où il est difficile de le suivre tant il a la bougeotte. Ces dessins
classés par André Breton et Ernest Delahaye sont conservés à
Quatre dessins de
Delahaye montrent son ami à Charleville., un autre à Marseille en 1875,
complètement dénué de ressources, recueilli par un gras « capucin
folâtre » Au cours de la fin de cette même année 1875, on sait que
Rimbaud, victime de violents maux de tête après la mort de sa jeune sœur
Vitalie, se tond le crâne. Delahaye le représente de profil, le crâne rasé,
oblong et irrégulier. C’est le célèbre dessin très réussi de « la tronche
à Machin ».
Dessin tiré de l'album Autour de Rimbaud Gallimard 1949
L’un des meilleurs
dessins est sans doute celui qui présente « Le Nouveau Juif errant »
Rimbaud, quittant
Même les faits
réellement passés sont restitués avec plus ou moins de fantaisie et de
vraisemblance.
En 1876, l’engagement
de Rimbaud dans l’armée néerlandaise et le voyage à Java furent longtemps
énigmatiques. Heureusement, la « débauche illustratoire » de Delahaye
comble un peu ces vides. Puisque le bateau longe l’Afrique, Delahaye dessine
« Un missionnaire qui vient de Charleville », au cours d’une
farandole endiablée, une bouteille d’eau-de-feu à la main et flanqué d’un
dictionnaire « hottentot ». Au dos de ce dessin apparaît
« Rimbaud chez les Cafres », un anneau à l’oreille, le nez percé d’une
flèche et le corps tatoué. Dans un ballon, il s’écrie : « Ces Cafres,
encore de fameux bassins !... » En 1876, Verlaine dessine aussi
Rimbaud en Canaque tatoué.
Inspiré par une
dessin de Humbert dans
Sur des dessins
aujourd’hui en mauvais état, Delahaye montre encore Rimbaud traversant la
jungle de Java lorsque le mercenaire a déserté de l’armée coloniale
néerlandaise en 1876. On voit le bateau [Prins van Oranje] pris dans la tempête
et, en dessous, sur la même page, Rimbaud est attablé avec Delahaye qui lui
demande : « Quand repars-tu ? » « Aussitôt que
possible » répond l’homme au chapeau. Un dessin plus surprenant le montre
en août 1877 sur le 70e parallèle, chaudement vêtu, chaussé de
patins à glace, trinquant avec un ours polaire, chacun tenant un verre
d’absinthe. Dans un ballon, il s’exclame : « Oh la la !... C’est
plus des Javanais qu’il me faut !... » Peut-être Delahaye situe-t-il
cet épisode pendant une supposée tournée avec le cirque Loisset.
Dans le documentaire
intitulé Prélude au grand départ. À
travers les dessins de Verlaine, Nouveau et Delahaye, réalisé en 2006 à
Sur le verso d’une
lettre de Delahaye adressée à Verlaine figure un dessin solidement construit,
mesurant
Dans l’essentiel de
l’image apparaît, assis en pleine nature au bord de l’eau, un géant nu, aux
cheveux longs, au torse velu, plutôt débonnaire, entouré d’une multitude
d’insectes, de quelques libellules et papillons,
Entre ses jambes
écartées, un personnage debout, couvert d’un
chapeau, en redingote pourrait être Rimbaud. (Mais il semble porter un
monocle ou des lunettes et son nez et son menton pointus ne correspondent pas
aux représentations habituelles qu’on fait de lui.) Puisqu’il tient sur son bras gauche un grand
mouchoir, va-t-il se moucher, s’essuyer le visage ou, comme le croit Yves
Peyré, récupère-t-il des insectes ? Rimbaud n’est plus un
géant mais un simple bourgeois.
Dans le dessin
apparaissent encore une maison (qui ne ressemble guère à la ferme de Roche),
des paysans munis d’une faux et de râteaux et des garnements plongeant dans une
rivière (ou un étang). Les deux nageurs peuvent être Arthur et son frère
Frédéric ou Arthur et Ernest Delahaye.
Aucun ouvrage n’ayant,
semble-t-il, reproduit ce dessin (il est absent du très bel ouvrage
iconographique Autour de Verlaine et de
Rimbaud réalisé en 1949 pour
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