La Constellation Rimbaud de Jean
Rouaud, constellée de personnages sans intérêt et de lieux anodins
Le fait pour un écrivain d’avoir obtenu le Prix Goncourt il y a une trentaine d’années peut-il être un certificat de rigueur littéraire, voire d’érudition, quels que soient ses écrits futurs ?
Davantage que Michel Butor en 1989, dans ses Improvisations, Jean Rouaud, faisant fi de l’immense bibliographie rimbaldienne et de tous ses devanciers, publie un essai sur Rimbaud, sans aucune référence.
Il met en pièces constituées de personnages plus ou moins importants (certains sont inutilement présentés), et de lieux censés représenter sa vie poétique et aventureuse, une existence dispersée à tous les vents.
Comme les repères chronologiques semblent insuffisants, il sera difficile au simple lecteur d’assembler des pièces de puzzles, plutôt hétéroclites et surtout très inégales, voire inutiles. Jules Buffin des Essarts, l’armurier Montigny, Louis Deghislage, le professeur Wilhelm Lübcke, Lacroix, éditeur d’ouvrages techniques, les divers ecclésiastiques et docteurs, sans parler de Heinrich Schlieman creusant la butte d’Hisarlik, peuvent-ils rivaliser avec les « évangélistes », les témoins oculaires essentiels comme Ernest Delahaye, Georges Izambard, « grands témoins de l’éclosion poétique », Paul Verlaine ou Germain Nouveau ? Encore convient-il de préciser que Delahaye et Louis Pierquin « fidèle parmi les fidèles » qui ne voudrait pas que le révérend Paul Claudel égrène son chapelet de fureur, se sont soumis à la férule d’Isabelle pour avoir droit au chapitre. Quant au professeur Izambard, s’il publie aussi tardivement, c’est parce qu’il doit se défendre des calomnies de la famille Rimbaud.
(Et nous éviterons de parler du paysan Fricotot, devenu Frénicot, p. 147 (en réalité, Fricoteau !) qui aurait marqué définitivement l’Histoire littéraire en évoquant les chevaux « fringants » de l’amputé de Roche, d’Armand Sabouré (sic) ou plutôt Savouré !). Nous n’évoquerons ni Louis Forain qui héberge Rimbaud à Paris, ni Mallarmé, ni Henri Mercier, ni le dernier ami africain Djami Wadaï, puisqu’ils sont bizarrement ignorés de l’essai.
En revanche, Jean Rouaud s’en prend dès le début au poète René Char dont il cite une phrase isolée de son contexte : « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ». « De quoi je me mêle » interroge Rouaud, sans se douter qu’on pourrait très légitimement lui renvoyer la question.
Des informations discutables
C’est d’autant plus fâcheux d’ignorer toutes les sources du l’auteur que certaines informations sont fausses ou appartiennent à la légende. Ce n’est pas parce que le bateau Wandering Chief, partant de Java, a affronté une tempête au large du cap de Bonne espérance que « Rimbaud a manqué de périr en mer ».
Non, il n’est pas certain que ce soit les vers de Jean Aicard que le jeune poète a ponctué plusieurs fois du mot « merde ».
Non, l’élève Rimbaud n’a pas « sauté une classe » (p. 37), cette légende a été démentie depuis longtemps.
Non, ce n’est pas Mathilde Mauté, « accompagnée de sa mère » qui « accueille à sa descente du train l’adolescent de Charleville » (que Verlaine et Charles Cros présents à la gare n’ont pas reconnu).
Pourquoi la photo (retouchée) de Carjat transformant Rimbaud « en icône », devient-elle bientôt celle de Nadar, page 67 ? (Où sont les correcteurs ?)
Non, malgré des témoignages discutables démentis par le calendrier de activités rimbaldiennes de mai 1871, Rimbaud n’a pas participé physiquement à la Commune, même s’il est un communard de cœur et d’esprit.
Non, Germain Nouveau n’accompagne pas Rimbaud à Londres le lendemain de leur rencontre à Paris mais plusieurs mois plus tard.
Non, Rimbaud ne fut pas si « bon » que ça avec Mariam, la femme abyssine, qu’il a renvoyée « sans rémission », lassé de « cette mascarade » devant lui.
Non, ce n’est pas Isabelle Rimbaud qui a rassemblé « les plus beaux textes » sur son frère mais Verlaine que Jean Rouaud traite avec mépris. Ce « poète, alcoolique, homosexuel, apostat » (page 12) qui partage avec Bretagne « le goût des garçons » et s’accrochera « à la vieille quincaillerie poétique » est très injustement présenté. Ernest Cabaner qui « logea quelque temps l’adolescent fugueur » bénéficie de propos seulement allusifs.
Non, ce n’est pas à la bigote et dogmatique Isabelle, malgré son « regard pervenche » et ses soins de sœur aimante à la limite « incestuelle », et à son Paterne Berrichon de mari, « l’anarchiste furieux » mué « en catholique ardent », qui ont faussé pour des décennies la juste perception des poésies de Rimbaud que l’on doit la survie de l’œuvre de Rimbaud. C’est à Paul Verlaine, inlassable défenseur des poèmes rimbaldiens sauvés de la destruction et de l’oubli, qu’il faut rendre justice.
C’est bien le « beau-frère posthume », lequel se vantait d’avoir passé confortablement toute la guerre (de 14-18) en profitant des droits d’auteur d’Arthur, et son épouse, laquelle ignorait tout des écrits de son frère avant sa mort, qui ont déshérité et renié le frère, Frédéric, accusé ici d’ivrognerie.
Tenter de revivifier le mythe rimbaldien catholique en « béatifiant » l’adolescent et en appelant à la rescousse sainte Marguerite-Marie Alacoque (sic), le curé d’Ars et Bernadette Soubirous « la petite voyante » de Lourdes, est tout simplement ridicule.
En 2021, la légende perdure et la « rimbaldo-fiction » a encore de beaux jours devant elle.